Érosion[s]

03.03.2022
Par Mercedes G., spectatrice

Les consommateurs de la presse helvétique ne peuvent passer à côté de cette triste nouvelle. « Chaque hiver, la mort frappe dans les Alpes. ». Dans nos régions, la montagne est pourtant crainte autant qu’elle est magnifiée, mais la foule qui la courtise ne pense jamais au pire.

M. Geiser, lui, l’a certainement aimée passionnément. Puis, un jour, l’idée d’une retraite contre le flan de sa montagne chérie lui est apparu comme un rêve enfin réalisé. S’isoler auprès d’elle aura été sa plus intime résolution.

Est-ce de la pluie que l’on entend ? Lorsque nous entrons dans la salle du théâtre, l’ambiance crépite de petits échos électriques. Aussitôt le tonnerre gronde, puis le texte se déploie. Dans un courant verbal continuel cinq voix se partagent à tour de rôle, parfois en cœur, le récit de Max Frisch.

M. Geiser -ou l’auteur- enfermé dans un corps vieillit tente obstinément de fixer les mots qu’il lit – ou écrit (Max F. a 68 ans lors de la publication)- et qui, par instants, le trahissent pour lui échapper comme plus tard la roche mouvante se dérobera sous ses pas. Lui, le randonneur pourtant habitué aux chemins qui sillonnent la vallée et auxquels il est si attaché.

Les déplacements et la gestuelle des comédiens nous attrapent, nos interrogent et nous hypnotisent. Placé au centre des phrases qui ricochent autour de nous, nous sommes plongés dans le corps même du texte, dans une immersion où tous nos sens, jusqu’à l’illusion, sont sollicités. Graduellement les jeunes marcheurs en tenues contemporaines d’excursionnistes se révèlent des consciences bienveillantes, des séraphins protecteurs accompagnant respectueusement l’homme et le texte.  Ce n’est que dans la deuxième partie, que sur scène s’égrène pas à pas, par séries répétitives d’images et de fragments le dernier pan du récit.

La définition du théâtre dans une démonstration troublante et poétique.

Mathieu Bertholet, le metteur en scène, nous confiera plus tard, qu’à chaque représentation, les échanges entre les comédiens sont redistribués de manière aléatoire, en fonction de l’improvisation des comédiens et que tous les soirs les spectateurs peuvent découvrir une nouvelle partition. Une belle image des instants infinis qui disparaissent à jamais et se répètent sans pourtant jamais coïncider.

Mathieu B. nous convainc sans peine que le théâtre est un art vivant et inspiré. Sa proposition qui au premier regard pourrait paraître une simple lecture chorale autour de la peur de la mort, nous a fait vivre une vibrante et émouvante soirée.

Par Mercedes G., comité de spectatrices