Pacific Palisades, c’est l’histoire d’un homme nommé Guillaume Corbeil qui vit une rupture et qui pour occuper sa solitude nouvelle se perd sur les réseaux sociaux, et un jour click sur un poste relatant un fait divers et ce passionne pour cette histoire qui le fascine.
Pacific Palisades, c’est l’histoire d’un fait divers étrange, un homme, Jeffrey Alan Lash, retrouvé mort dans le coffre d’une voiture, enroulé dans un tapis à Los Angeles.
Pacific Palisades, c’est l’histoire de cet homme, Jeffrey Alan Lash, au travers de plusieurs femmes, qui se ressemblent toutes : blonde, le visage ovale et la bouche en coeur, interrogées par Guillaume Corbeil sous une fausse identité. Il s’empare du nom et du style vestimentaire de l’homme qui habite dans l’appartement qu’il loue.
Pacific Palisades, c’est donc aussi l’histoire de cette enquête menée par Guillaume Corbeil, le voyage qu’il entreprend et les rencontres qu’il fait.
Pacific Palisades, c’est l’histoire d’une rencontre entre deux hommes dans un RBNB, Guillaume Corbeil et Daniel, un passionné de Star Wars.
Finalement, Pacific Palisades, c’est aussi l’histoire des histoires que nous nous racontons; un sorte d’essai sur le sens des histoires dans nos vies, la manière peut-être même dont elles peuvent nous maintenir en vie.
Nous sommes donc devant un enchevêtrement d’histoires où se mêlent réalité et fiction. Qu’est-ce qui relève de la réalité? Qu’est-ce qui relève de la fiction?
Un dispositif vidéo et sonore est utilisé tout au long de la pièce, suivant les didascalies du texte, afin de venir appuyer les propos – comme si toutes ces sources sortaient du téléphone de Guillaume Corbeil [interprété par une actrice, mais nous reviendrons sur ce point ], autant de preuves à conviction pour signifier : ce que je vous raconte est vrai, j’en ai la preuve : des images et des enregistrements. Ce dispositif ne semble pas être le choix d’une mise en scène mais déjà présent, en didascalie, dans le texte. Cela soulève ce qui semble, à mon sens, un des coeurs de cette pièce : le pouvoir ou la signification que nous donnons aux images (je mets ici également dedans les voix enregistrées, sortes de photographie sonore) qui nous entourent et les diverses relations qu’elles peuvent avoir avec nos narrations. Il y a les images qui disent, pour reprendre une formule de Roland Barthes, le ça a été, c’est-à-dire qui capture un morceau de réalité. Mais toutes les images ne jouent pas ce rôle d’attester de la réalité. D’autres, au contraire, ont le pouvoir de fabriquer une réalité. Pensons, par exemple, à ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Certaines personnes ne photographient pas la réalité, mais créent une réalité, de toute pièce, pour ensuite la photographier, et créer ensuite des représentations d’elles-mêmes. Dans cette pièce, notre propre relation aux images est questionné, non seulement leur rapport avec la réalité et leur possibilité de mentir, mais également le sens que nous leur donnons dans nos existences, et notre besoin, parfois, de s’accrocher à elle qu’importe si elles sont vraies, ou fausses.
Dans Pacific Palisades, ainsi, nous avons plusieurs types d’images et de relations qu’elles peuvent entretenir avec le réel. Il y a les véritables images du fait divers qui a réellement existé, et qui est à la fois le point de départ de la pièce et de l’acte d’écriture de Guillaume Corbeil (non pas le personnage de la pièce, mais l’écrivain dramatique) et qui ont été publiées dans Paris Match au sujet de ce mystérieux Jeffrey Alan Lash . Il y a des images de personnes qui ne sont pas celles qu’on dit qu’elles sont (des femmes qui ont partagé la vie de Jeffrey Alan Lash, ou de Lash lui-même) ou encore des voix qui n’apparaissent pas au générique de la pièce.
Ce savant mélange sur le fil entre réalité et fiction me fait penser au travail de Sophie Calle, et notamment à son film No Sex Last Night. Ce n’est pas le seul point commun que je vois avec l’artiste, nous retrouvons également l’idée de filature, ainsi que la rupture amoureuse comme point de départ d’un acte artistique.
La présence des images, nous la retrouvons par les photographies présentées, mais également par la présence du cinéma. Au début de la pièce, un grand écran est déroulé depuis le plafond sur lequel est projeté un générique qui rappelle le cinéma (ou le documentaire). Il y a également une référence à un évènement tragique et réel du cinéma. Lors du tournage De la Quatrième Dimension (titre d’ailleurs intéressant qui fait appel à l’espace-temps) trois acteurs sont tués, un homme et deux enfants, dans un accident d’hélicoptère. Dans la scène en question, l’homme tente de sauver les deux enfants. Là, la fiction rejoint funestement la réalité – ou peut-être le contraire – , et nous sommes invité-e-s à nous questionner : l’homme en a-t-il conscience qu’il ne joue plus, et qu’il est véritablement en train d’essayer de sauver des enfants? Finalement, une autre référence au cinéma se fait par l’intermédiaire de Daniel, un passionné de Star Wars, qui souhaite pouvoir connaître le contenu d’un épisode avant sa fin qui est proche. Cette envie, et cet amour pour le cinéma le maintient momentanément en vie, ce qu’illustre une des scènes de la pièce. Suite à un malaise et en attendant une ambulance, le personnage-Guillaume-Corbeil, maintient en vie Daniel en lui racontant la fin totalement imaginée, et spectaculaire, de Jeffrey Alan Lash.
Ce jeu que nous sentons entre réalité et fiction suscite chez les spectateurices une envie, une fois la pièce terminée, de se précipiter sur la toile pour démêler le vrai du faux. Ainsi, hors scène, une nouvelle enquête débute. Cela fait émerger une question : pourquoi avons-nous envie, ou besoin, de savoir si ce que nous venons de voir est vrai ou non? Qu’est-ce que cela changerait à l’expérience vécue? Peut-être l’importance se situe ailleurs encore, peut-être simplement que cette histoire à laquelle nous venons d’assister est simplement un moyen de supporter nos existences, à l’image des protagonistes masculins de la pièce qui pour faire face à une rupture ou à la maladie se sont accrochés, à des images, à des histoires, pour rester vivants.
Du côté du personnage nous sommes également face à un brouillage des pistes en réalité et fiction. Au tout début de la pièce, une actrice entre en jeu, juste après le générique cinématographique. Elle se présente. Je suis (ou je m’appelle) Guillaume Corbeil. Si nous n’avions que le texte ( sans commentaire, ou didascalie concernant qui doit interpréter ce rôle, ce personnage-de-Guillaume-Corbeil) nous serions dans un cas de figure où auteur, personnage et narrateur se confondent, c’est-à-dire dans une autobiographie scellée par ce que Lejeune appelle le pacte autobiographique.
Mais ici, par la présence du corps de la comédienne, il n’y a plus identité parfaite. Il y a fracture. La situation d’énonciation est pétrie d’une inquiétante étrangeté. Elle n’est pas Guillaume Corbeil, et même si nous étions d’accord d’y croire, il y aurait toujours un décalage, car elle n’est pas en train d’incarner Guillaume Corbeil, mais de le narrer, légèrement de l’extérieur, sauf à quelques exceptions près où nous pouvons sentir la voix de l’auteur parler au travers des personnages, pour des questions existentielles. Ainsi, nous voyons, et écoutons, une comédienne qui prétend être Guillaume Corbeil qui lui-même joue à être un autre, et qui décrit ses faits et ses gestes comme à un-e interlocutrice hors champ. Dans l’ensemble de la pièce et dans les choix de jeu et de mise en scène nous retrouvons plusieurs décalages. Une image m’a marquée. Il y a cette phrase est-ce qu’une ampoule électrique c’est Dieu pour un moustique. Puis la lampe s’allume, et l’actrice va se poser sous celle-ci. L’image existe d’abord dans le langage puis devient réel, sur scène, comme si nous assistions à la mise en réalité, dans un deuxième temps, du langage. Il en va de même par exemple, quand l’actrice prend en charge les personnages féminins que Guillaume Corbeil, sous une fausse identité, rencontre. Peu à peu la comédienne glisse dans ces rôles de femme, en même temps qu’elle prend en charge leur parole – elle les incarne un peu plus que le personnage de Guillaume Corbeil mais jamais immédiatement, et ce retardement peut s’observer par un jeu de costumes. Le changement de vêtement n’est pas immédiat. Comme si nous assistions peu à peu à la construction d’un personnage, comme si la création de celui-ci était également mise en scène. Ce jeu de vêtement est d’ailleurs problématisé dans la pièce elle-même, c’est par lui que les personnages deviennent – de manière éphémère – quelqu’un-e d’autre. C’est par lui que le personnage-Guillaume-Corbeil devient Paul, c’est par lui également que l’une des maîtresse de Lash, dans un jeu érotique avec celui-ci devient une autre femme – celle qui vit dans l’appartement qu’ils infiltrent le temps de faire l’amour.
Ces éléments font penser qu’il y a encore une autre histoire enchâssée dans toutes ces histoires que nous avons déjà mise en lumière. C’est l’histoire de la mise en écriture de la pièce. Nous avons l’impression d’assister également à un processus de création. Peut-être une des seule vraie histoire de cette pièce. Celle de Guillaume Corbeil-l’auteur écrivant la pièce depuis un appartement. D’ailleurs, si nous avons pu penser que la scénographie faisait référence d’abord à l’appartement que Guillaume Corbeil devait occuper avec sa compagne, puis une pièce de Pacific Palisades ou encore le RBNB partagé avec Daniel, l’image finale – cet empilement de bières et de cartons de pizza ne serait-il pas plutôt le décor dans lequel Guillaume Corbeil a écrit Pacific Palisades ?
Une dernière réflexion pour terminer. « Ma peau trace la frontière entre le monde et moi. D’un côté il y a tout ce que je suis. De l’autre, tout ce que je serai jamais. C’est la fin des possibles. » Est-ce que le vêtement de théâtre, et la fiction, ne seraient pas l’antidote, à cette affirmation pessimiste ou simplement la possibilité de rendre ce jamais supportable?
Charlotte C.