Dehors l’orage arrive. Je dis dehors alors qu’il est tout autour de moi, de nous, des spectatrices assises dans la salle du Poche.
Et Monsieur Geiser est seul. Un vieux monsieur seul avec son chapeau sur la tête, encore à l’intérieur de sa maison. Nous sommes là avec lui, mais moi je me sens déjà impuissante pour l’aider à contrer sa mémoire qui l’abandonne.
Il est là sans être là. Les comédiennes le racontent. Elles racontent aussi la montagne, menaçante sous les éclairs. Le texte de Max Frisch roule comme le tonnerre.
Quand nous apprenons que l’orage a dévasté les plans de tomates, je commence par sourire de l’incident, mais doucement je m’inquiète pour lui. La pluie ne cesse plus. Maintenant j’ai froid.
Et voilà que Monsieur Geiser veut partir marcher. J’ai envie de lui crier « Non! Monsieur, ce n’est pas le moment de sortir ! ». Je tremble à chacun de ses pas. En plus il a oublié son thermos. Il va prendre froid. Il est déjà trempé. En tout cas moi j’ai l’impression d’être trempée jusqu’aux os. Les comédiennes sont pliées sous la pluie, avec leurs sacs à dos, en pleine escalade. A nouveau j’ai envie de crier, pour leur demander si elles ont croisé Monsieur Geiser, si elles peuvent aller le chercher.
Oh mon Dieu, pauvre Monsieur Geiser, on va le retrouver mort comme Robert Walser! Cette image me hante depuis la lecture du 7 janvier [lecture participative autour du 7 janvier autour de Robert Walser, ndlr]. Je suis trop effrayée par l’orage en montagne pour garder la tête froide. Fred Jacot-Guillarmod se confond avec Monsieur Geiser, et Monsieur Geiser se confond avec Robert Walser…
Mais d’un coup Monsieur Geiser est à la maison. Il est à l’abri. Me voilà qui respire à nouveau. Il est seul, il perd ses repères, mais il se bat aussi, inventant pour nous un monde qui débute du quaternaire jusqu’à notre époque. Il est là. Et ce n’est pas aujourd’hui qu’il partira. Pas encore.
Je quitte la salle, avec le sentiment d’avoir fait une randonnée, contente d’être revenue en ville, loin des montagnes, pleine de tendresse pour Monsieur Geiser et sa salamandre.
Par Alexandra T., comité de spectatrices