La pièce pourrait se décrire ainsi : Entrez avec nous dans la cuisine de la politique italienne !
Le décor est une cuisine. Une vraie. Avec une plaque de cuisson, qui comme dans la vraie vie, ne veut parfois plus s’allumer. Avec un évier, qui comme dans la vraie vie, finit rempli de vaisselle sale. Avec des spaghetti, de l’ail, du café, des fruits de mer. Des tasses, des assiettes, des couverts. Bref, une vraie cuisine. Avec du vin blanc valaisan. Comme dans la vraie vie de nous autres romandes.
Les quatre protagonistes vont faire leur cuisine politique tout en se préparant des petits plats. Pardon, je rectifie : tout en préparant des petits plats pour elles-mêmes mais aussi pour nous, spectatrices, assises dans la salle. D’ailleurs, j’ai entendu à la radio un critique qui regrettait de n’avoir pu goûter les pâtes aux oursins.
Tout le spectacle de la politique italienne est là. La jeune louve de la Lega. La responsable de communication dont on ne se sait pas si elle tient plus de la velina* ou de l’arriviste, ou des deux. La cheffe de file du Mouvement qui ne va pas laisser passer l’occasion. Et le merveilleux numéro deux du mouvement qui couche déjà avec l’extrême droite, au sens propre comme au figuré.
Le jeu des actrices à lui seul suffirait à ressortir de chez soi pour aller au théâtre. Flanquées de perruques, habillées comme sur un plateau de télévision berlusconienne, Angèle Colas, Jeanne De Mont, Fred Jacot-Guillarmod, et Zoé Sjollema sont irrésistibles de drôlerie, de lâcheté, de vacherie et de compromission.
Il reste la question de savoir comment je me suis retrouvée à trinquer avec la Lega.
L’auteur l’a dit, justement au journaliste de la radio : la mise en scène présente la décadence de la politique italienne.
Et elle m’a plongée dedans, jusqu’à la garde. Et avec le sourire.
La cheffe de file qui prépare des vongole tout en essayant de profiter du cunnilingus de sa cheffe de com, c’est pour le moins acrobatico-comique. Sa douce compagne lui rappelle que cela ne ferait pas rire les membres de son parti, ni ceux de la Lega. Me revient en mémoire que c’est bien cette dernière qui a bloqué une proposition de loi visant à lutter contre les violences homophobes en 2021. Les dites vongole, dont on discute si elles sont vraiment italiennes, j’en ai moi-même mangé ce soir. Délicieuses. Mais avec le petit goût amer d’un autre vague souvenir, celui des distributions de nourriture, réservées aux Grecs, par Aube dorée. Certes c’était en Grèce, mais l’organisation CasaPound, à Rome, n’est pas si éloignée. Et quand Deledda, sirène de la Lega, revient de la plage chargée de bouteilles de champagne et de grisini, j’ai vite oublié le gilet de sauvetage jaune si reconnaissable qu’elle avait aussi ramené. Je tends le bras, et en l’écrivant je mesure l’ironie de la chose, je tends donc le bras vers la coupe offerte et je trinque avec la joyeuse équipe. Nous trinquons à nos défaites, à nos lâchetés, à tous ces moments où nous détournons simplement le regard. Deledda nous le dit franchement, on est tous lamentables. Et nous trinquons à cela. Avec entrain et bonne humeur.
Si cette pièce est une farce, elle est non seulement une très bonne farce, mais aussi un bon antidote à la fausse contrition et la vraie autosatisfaction dont fait preuve parfois le public bon teint sortant d’une pièce abordant les problématiques politiques de ce monde. Ce n’est plus la pièce qui était touchante, mais le public qui s’émeut de lui-même, se mirant dans son propre contentement d’être ouvert, sensible aux douleurs du monde, voir même repentant.
Une satire légère et pétillante a dit le critique radio.
Légère comme les bulles de prosecco, qui donne à tout un air de fête, et aussi de sacrées acidités. Mais de celles dont nous ne pouvons pas nous vanter. Ce n’est pas une grandeur d’âme qui nous tord le ventre, c’est à la fois d’avoir tant ri mais aussi d’avoir trinqué à nos propres renoncements. Bref, un peu d’humilité.
* « jeunes femmes bien pourvues et court vêtues systématiquement présentes sur les plateaux des émissions de la plupart des chaînes italiennes », dixit le Wiktionnaire
Alexandra T., comité de spectatrices